mardi 9 mars 2010

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éditorial,
par Pierre Hunout


C’est une île en forme de chien assis, la tête inclinée pour scruter l’énigme de l’eau. Le chien a les oreilles en alerte parce qu’il reçoit des nouvelles du vent tandis qu’il sent et regarde la mer. Le chien est assis dans l’Atlantique.
Herberto Helder, Photomaton & Vox

Quand la terre tremble, quand les eaux enjambent la maison, d’Haïti à Madère, de Frankétienne à Herberto Helder, les poètes sont tous insulaires, même les autres. Ils sont un parmi la foule interdite, un regard d’avec les mains, mais d’avec ces mains vides qui redonnent des armes à ceux qui ont tout perdu. Depuis le centre aux alentours du chaos, il ne peut y avoir de parenthèses pour celui qui parle, au contraire. Face à la catastrophe, leur mot d’ordre est de ne jamais laisser la bouche se taire, même en désordre. C’est qu’avec eux, on convie l’espoir à la table, on le porte sur ses épaules, on se réunit autour d’un maigre morceau de pain, un peu de mie pour combler toutes les bouches. Alors on célèbre, on traverse la tragédie, on s’emmène soi-même là où franchir le bruit et la fureur, où ne plus jamais oublier de se rire.

A Funchal, elles sont venues les pluies d’Herberto Helder qui pressentait déjà qu’il serait possible de marcher nu sous l’eau chantante, quand les chemins se confondent, qu’y disparait l’ordre fragile qui se crée pour marcher sur l’abîme. De l’autre côté de l’océan, quelques heures après le désastre, Frankétienne trimballe son corps colossal dans les rues dévastées de Port-au-Prince, et rappelle qu’il arrivera souvent que l’on fléchisse, que l’on tombe, mais il nous faudra alors apprendre à chevaucher notre chute. Après toute l’eau du ciel, après que la terre a renversé la maison, la peine et la douleur peu à peu s’effaceront, restera encore ce poème où pèsent tous les possibles.

À fond d’abîme
la fête nocturne.
Hanches massacrées à coups de hache. Désastre irréparable.
Et dans l’espace futur, la persistance d’un cri.
Frankétienne, Ultravocal



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